Otto Gross
Né le 17 mars 1877,
Otto Gross obtient son doctorat de médecine à l’Université de Graz
malgré un tropisme imprégné dès sa petite enfance des sciences de la
nature comme la biologie et la zoologie. A peine son diplôme en poche,
il embarque comme médecin de bord sur les paquebots de la ligne
Hambourg-Amérique du sud. Périples dont il « conservera, explique
Jacques Le Rider, le souvenir ébloui d’excursions dans l’arrière-pays
latino-américain mais aussi le goût de la cocaïne, de la morphine et de
l’opium ». D’où une première cure de désintoxication à la clinique du
Burghözli de Zürich, où travaille Carl Gustav Jung avec lequel il suivra
ensuite une analyse. Une rencontre à même de développer son intérêt
déjà latent pour la psychologie des profondeurs : c’est en 1904, selon
Ernest Jones, qu’a lieu la première rencontre entre Sigmund Freud et
Otto Gross : « homme génial qui malheureusement fut plus tard atteint de
schizophrénie » commente le biographe de Freud. Malgré sa
participation, en avril 1908, au premier Congrès de psychanalyse à
Salzbourg, le jeune Otto Gross prend à contre-pied la vulgate
freudienne : « la source principale des troubles psychiques n’est pas,
selon lui, la sexualité mais la plus ou moins bonne adaptation de
l’individu à la société ». Une idée qui deviendra, après son
installation à Schwabing, le quartier intellectuel et artistique
-alternatif dirions-nous aujourd’hui- de Munich, l’axe essentiel de ses
réflexions : « le problème sexuel est en réalité un problème social et
la crise individuelle, une crise culturelle ». La guérison des êtres
implique en conséquence une « réforme des mœurs ». Un moyen de régler
par conceptions analytiques interposées, ses comptes avec un père,
influent pénaliste, qui n’hésitera pas à le faire arrêter par la police
berlinoise, puis, à demander son internement psychiatrique dans un écrit
testamentaire.
D’une valeur très
inégale, les écrits d’Otto Gross qui figurent dans cet ouvrage n’en
éclairent pas moins la pensée foisonnante d’une époque marquée par la
première guerre mondiale. On aurait bien tort d’enfermer dans le seul
pansexualisme d’un Wilhelm Reich ou dans la « doctrine vitaliste » d’un
Hans Driesch, la pensée d’un auteur qui s’interroge sur la compatibilité
du génie humain avec une société dans le cadre de laquelle ce dernier
ne parvient pas à s’inscrire : à lire celui qui finira en 1920 vaincu
par le froid et la fin dans l’entrée d’un immeuble berlinois, on songe
immanquablement au « Combat avec le démon » de Stefan Zweig,
inoubliables biographies -oserons-nous dire comparatives- de Von Kleist,
Hölderlin et Nietzsche.
Dans « Violence
parentale », article paru en 1908 ou dans « Révolte et morale dans
l’inconscient » rédigé en 1920, Otto Gross dénonce, aussi bien qu’Alice
Miller (https://paradoxa1856.wordpress.com/2011/09/17/l%E2%80%99essentiel-d%E2%80%99alice-miller-par-jean-luc-vannier/)
les « suggestions de l’éducation parentale » : « la psychanalyse a
tracé sa limite très précisément devant les découvertes qui mettraient
en cause toute autorité traditionnelle ». Mais Otto Gross va plus loin
que sa collègue suisse. Malgré quelques dérives utopiques sur le retour
idyllique au « matriarcat communiste », son souhait d’associer
« psychologie de l’inconscient et philosophie de la révolution »,
notamment dans son manifeste de 1913 « Comment surmonter la crise de la
civilisation » en fait un précurseur de la « gauche freudienne » à
l’image du psychanalyste engagé Erich Fromm : une vision pour le moins
prémonitoire si l’on en juge l’interdiction de la pratique analytique
dans nombre de dictatures contemporaines. A fortiori, lorsque ces
dernières enlèvent et enferment, comme ce fut le cas récemment en Syrie,
une spécialiste reconnue de la psyché.
Finalement, à
lire ses textes les plus fondamentaux comme « Des infériorités
psychopathologiques » ou bien encore, rédigés l’année de sa disparition
au moment même où Freud publie en 1920 son écrit le plus controversé sur
la pulsion de mort, ses « « Trois essais sur le conflit intérieur »,
titre dans lequel il est difficile de ne pas déceler un clin d’œil de
l’élève au maître dont il critique la doctrine, on ne peut que constater
la criante actualité politique des considérations d’Otto Gross : les
controverses modernes sur la psychiatrie réduite à l’enfermement
asilaire (https://paradoxa1856.wordpress.com/2010/10/14/le-souci-de-lhumain-un-defi-pour-la-psychiatrie-colette-chiland-et-al-par-j-l-vannier/
), celles liées à la négation de l’individu dans le nouvel ordre
psychiatrique (Maurice Corcos, « L’homme selon le DSM », Albin Michel,
2011) ou la « Déclaration de Lyon » initiée au Congrès des cinq
continents et dédiée aux « effets psychosociaux sur la santé mentale de
la mondialisation » ne correspondent-elles pas aux angoisses humaines du
monde futur pointées et vécues par son auteur jusqu’à
l’ultime déchirement ?
Jean-Luc Vannier
Commentaires
Enregistrer un commentaire